Les FAI peuvent bloquer l'accès au site "The Pirate Bay", selon l'Avocat Général SZPUNAR
Mauvaise nouvelle pour les utilisateurs du site « The Pirate Bay ». L’Avocat Général (« AG ») SZPUNAR vient pratiquement d’annoncer son naufrage ! Dans son avis du 08 février 2017, il a conclu d’une part que « The Pirate Bay » (« TPB ») communique des œuvres au public et d’autre part que les fournisseurs d'accès à Internet (« FAI ») peuvent bloquer l’accès au site TPB vu son rôle « crucial » dans le partage de ces fichiers illicites.
The Pirate Bay sème la terreur depuis 2003…
On connait tous sa
légende. C’est Le plus grand serveur torrent du web. Il bombarde les
ayants-droits depuis presque 15 ans. Il ne laisse jamais de survivant ; ou
très rarement.
C’est l’intermédiaire
qui permet aux utilisateurs de partager les contenus (illégaux) en peer-to-peer. En effet, 90 à 95 % des
fichiers partagés sur le réseau du TPB contiennent des œuvres protégées et
distribuées sans le consentement des ayants droit.
D’où vient-on ? Pourquoi cette affaire ?
Des Pays-Bas. D’un côté,
nous avons la société BREIN (qui lutte contre l’exploitation illégale d’œuvres protégées
par le droit d’auteur et les droits voisins) et de l’autre ZIGGO BV et
XS4ALL, les deux plus grands fournisseurs d’accès à Internet sur le marché
néerlandais.
En bref, en première
instance, le tribunal de La Haye avait forcé les deux FAI à bloquer TPB. En
degré d’appel, La Cour s'est prononcée contre BREIN, concluant que (1) c’est
TPB qui est l’origine des infractions aux droits d’auteur et pas les FAI et (2),
le blocage n’est pas une protection efficace. BREIN, mécontent, s’est pourvue
en cassation qui a, à son tour, renvoyé l'affaire (C-610/15) devant la Cour de justice de l'UE (« CJUE »)
pour obtenir des précisions.
Au passage, on
retrouve un vieil ami : le droit de communication au public (visé à l’article
3, §1er, de la directive droit d’auteur).
Les 2 questions ayant menées au litige devant la
CJUE
La première question
peut se résumer comme suit : Est-ce que TPB communique au public des œuvres
protégées par le droit d’auteur ?
C’est une question
importante quand on sait que TPB se limite à répertorier les contenus
présents sur le réseau peer-to-peer,
c’est-à-dire les métadonnées afférentes aux œuvres qui sont proposées aux fins
de partage par les utilisateurs du réseau ; et rien de plus.
Quant à la seconde
question, dans l’hypothèse où la CJUE juge que le TPB ne communique pas les
œuvres au public (contrairement à son AG), les FAI peuvent-ils être contraints
de bloquer un site si l'opérateur ne fait que faciliter les infractions aux
droits d'auteur ?
Que peut-on lire dans cet avis de l’AG ?
Beaucoup d’éléments très intéressants. On vous
recommande la lecture.
L’AG pose directement
le ton. Il suggère que la réponse aux problèmes soulevés dans cette affaire
doit être cherchée plutôt en droit de l’Union que dans les Etats membres. Bref,
gérons ce problème et on en parle plus !
Ensuite, il nous
rappelle que la présente affaire concerne une communication originaire effectuée
dans le cadre d’un réseau peer-to-peer
(§§ 17-25) et non une communication secondaire d’œuvres déjà accessibles sur
Internet par une personne elle-même producteur du contenu en ligne). En d’autres
termes, laissons de côté les affaires Svensson
et GS Media.
Finalement, il note
que peu importe la forme que prennent les fichiers partagés sur le net, ce qui
compte, c’est le rôle « crucial », « incontournable », que
joue le TPB dans ce partage.
Passons au droit …. À la première question
Vous les connaissez
par cœur, selon la jurisprudence, deux éléments sont indispensables pour
constater une communication au public : (1) un acte de communication/une mise à
disposition et (2) la présence d’un public.
Dans le contexte des
réseaux peer-to-peer, qu’est-ce que
ça donne ?
Pour l’AG, il est « indéniable que lorsque des œuvres protégées
par le droit d’auteur sont partagées dans un réseau peer-to-peer, une mise à disposition du public de ces œuvres a
lieu » (§44). Il constate en effet que :
- Les œuvres sont mises à disposition sur les ordinateurs des utilisateurs du réseau, de manière à ce que tout autre utilisateur puisse les télécharger
- Les utilisateurs potentiels d’un réseau peer-to-peer ouvert, comme celui de TPB, constituent sans aucun doute un nombre indéterminé et important de personnes
- Et le critère
du public nouveau est également rempli en ce qui concerne les œuvres partagées
sans le consentement des auteurs
Il reste à déterminer
quelles sont les personnes dans un réseau peer-to-peer à l’origine de la
mise à disposition des œuvres qui y sont partagées ?
Bien que les
utilisateurs mettent de manière délibérée les œuvres dont ils sont en
possession à la disposition des autres utilisateurs du réseau, on ne peut
ignorer le rôle du TPB « nécessaire » pour faire fonctionner le
réseau.
L’AG conclut donc que le
fait pour l’opérateur d’un site Internet de permettre de « retrouver des fichiers contenant des œuvres
protégées par le droit d’auteur qui sont proposés aux fins de partage dans un
réseau peer-to-peer constitue une communication au public si cet opérateur a connaissance [effective] du fait qu’une œuvre est mise à disposition
sur le réseau sans le consentement des titulaires des droits d’auteur et ne
réagit pas afin de rendre l’accès à cette œuvre impossible ».
Notons toutefois que
cette présomption de connaissance diffère de celle dans l’arrêt GS Media
concernant les personnes ayant placé un lien hypertexte dans un but lucratif.
Continuons en droit …. Avec la deuxième et
dernière question
Les FAI peuvent-ils être
contraints de bloquer TPB (sur base de l’article 8, §3, de la directive 2001/29)
alors s’il ne fait que faciliter les infractions aux droits d'auteur ?
Tout d’abord, il faut
noter qu’il en fait aucun doute que TPB a connaissance de l’illégalité des fichiers
stockés et n’agit pas afin de les retirer ou d’en rendre l’accès impossible. Il
peut donc être tenu indirectement responsable des atteintes au droit d’auteur.
Partant de ce
postulat, est-ce pour autant que ces mesures de blocages sont conformes au
regard des droits fondamentaux ?
On s’en souvient dans
l’affaire UPC Telekabel Wien, parmi
les conditions à respecter, les mesures prises ne doivent pas priver
inutilement les utilisateurs d’Internet de la possibilité d’accéder de façon
licite aux informations disponibles.
Or, il est évident
qu’une mesure de blocage d’un site prive les utilisateurs de l’accès aux
informations qui y sont disponibles, licites ou non.
La proportionnalité de
ces mesures doit donc se faire au cas par cas.
Dans le cas du TPB, une
telle mesure de blocage serait appropriée selon l’AG. Il constate en effet que plus
de 90 % des fichiers sont illégaux. De plus, TPB aurait été averti à plusieurs
reprises mais aurait refusé d’agir.
« Dans ces circonstances, la privation des
utilisateurs d’Internet de l’accès aux informations, découlant de la mesure de
blocage du site TPB, serait proportionnelle à l’importance et à la gravité des
atteintes aux droits d’auteur commises sur ce site » (§76), ajoute l’AG.
Et de conclure quant à
la deuxième question : l’article 8, §3, de la directive permet de rendre à
l’encontre d’un FAI une ordonnance sur requête « afin de l’enjoindre de bloquer à ses utilisateurs l’accès à un site
d’indexation d’un réseau peer-to-peer, si l’opérateur dudit site peut, en vertu
du droit national, être tenu pour responsable du fait des atteintes aux droits
d’auteur commises par les utilisateurs dudit réseau, à condition que cette
mesure soit proportionnelle à l’importance et à la gravité des atteintes aux
droits d’auteurs commises, ce qu’il appartient au juge national de vérifier »
(§84).
Les développements
techniques et technologiques devancent facilement les procédures judiciaires
parfois même avant leur adoption.
On peut donc douter de
l’efficacité d’une mesure consistant à bloquer l’accès à un site Internet,
comme TPB. Tout au plus, pourra-elle peut-être rendre les violations de droit
d’auteur plus difficiles…
Mais ne rien faire reviendrait
à admettre qu’aucune mesure de prévention d’une infraction à la loi (comme le
blocage) ne saurait être efficace parce que de nouvelles infractions seront
toujours commises par d’autres personnes.
En attendant, les alternatives
de contournement pour les utilisateurs avides de téléchargements sont encore
(trop) nombreuses (le Tor Network, les darknets, VPN, proxies, etc.) et c’est
bien là le problème.
Le naufrage du PTB
n’est peut-être finalement pas pour tout de suite…
Plus d’infos ?
En lisant les conclusions
de l’avocat général et/ou en me contactant par email : tom.dubuisson@gmail.com
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